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Notice biographique

Par Béatrice Arnac d'Axa

Zo d'Axa, tableau de Montald Né en 1864, issu d'un milieu de grande bourgeoisie, descendant du navigateur Gallaud de la Pérouse, petit-fils du fournisseur de lait du Prince impérial, fils d'un haut fonctionnaire des Chemins de fer d'Orléans, centralien, par la suite ingénieur de la Ville de Paris. Son oncle, vétérinaire, chargé de l'achat d'étalons arabes pour le roi Louis Philippe, écrivit en 1833 une relation pittoresque de ses voyages en Afrique. Sa soeur, Marie, statuaire et sculpteur, très érudite, passera plusieurs années en Orient et au Tibet interdit où elle voyagera habillée en homme, en compagnie d'un sherpa. Elle publiera en 1929 une histoire du Bouddhisme, couronnée par l'Académie française, qui fera autorité en la matière.

Après des études médiocres au collège Chaptal, Zo d'Axa est saint-cyrien. Excellent cavalier et escrimeur, il s'engage à 18 ans, avide de changements, dans les chasseurs d'Afrique. Il déserte bientôt en emmenant la femme du capitaine! Réfugié à Bruxelles, il débute dans le journalisme aux "nouvelles du jour", puis devient quelques temps secrétaire du théâtre de l'Alcazar et puis de l'Eden.

Refusant de "faire carrière" en Belgique, mais après y avoir publié un essai poétique "Au Galop", il s'installe à Rome, fréquente la villa Médicis, y rencontre des peintres de l'époque, Vanutelli, Montald, Biséo etc., pour lesquels il posera souvent. Il devient le chroniqueur attiré du journal L'Italie, responsable de la critique d'art.

En 1889, l'amnistie lui permet de rentrer en France après 8 ans d'absence et de voyages jalonnés de multiples aventures sentimentales; il est ardent!

Dans les années 1890, l'anarchisme ne peut que se développer. La pauvreté, la misère sont grandes. Le peuple n'est pas encore anesthésié par les drogues, les pollutions et autres fascinations érotico-politico-friqueuses et télévisuelles que feront les délices de leurs petit-fils. La main manipulatrice du pouvoir ne s'est pas encore appesantie lourdement sur l'esprit humain. Les idées cavalent encore au bras du courage et de l'individualité. Zo d'Axa va en être avec force un des représentants. Il donne sans compter. Il nous montre l'âme du mouvement. Sans être anarchiste, il le dira lui-même au tribunal après une condamnation, il est tout simplement pour la victime, pour l'innocent, pour celui qui souffre, pour la justice, pour la vérité. "Dernier mousquetaire", "paladin dévoyé", sa sensibilité, la parfaite maîtrise de son écriture nous entraîne, aujourd'hui encore, à revivre dans une vision cinématographique ces pages de notre histoire récente. Il réussit à nous émouvoir avec des événements oubliés...

Perquisitions, poursuites, saisies, emprisonnements, n'entameront jamais, au contraire, sa verve et son action. Avec des mots violents mais mesurés, perfectionniste (il est capable de refaire 10 fois une phrase!) dans L'Endehors, son premier journal, libertaire et littéraire, il massacre littéralement la société du haut en bas, sans pitié. L'Endehors est bientôt poursuivi, le gérant Matha, l'auteur Lecoq et d'Axa sont condamnés. C'est sa première condamnation. Dans le même temps, Ravachol est arrêté.

Il lance une souscription pour les enfants des détenus, distribue l'argent aux familles. On l'arrête pour association de malfaiteurs! Le fait d'aider des familles nécessiteuses de personnes compromises démontre une complicité... Emprisonné à Mazas, il refuse de répondre aux interrogatoires ou de signer quoi que ce soit. On le met au secret. Pas de visite. Pas d'avocat. L'Endehors continue de paraître. Ses collaborateurs sont ses amis... C'est dans une cave près du boulevard Rochechouart qu'est installée la rédaction. Il y a un orgue et parfois la compagne de Zo d'Axa, Béatrice Salvioni, vient en jouer. La répression continue. Les rédacteurs de La Révolte et du Père Peinard sont aussi à Mazas, ainsi que bien d'autres anarchistes. Au bout d'un mois, Zo d'Axa est remis en liberté provisoire. "Notre pauvre liberté, provisoire toujours", dira-t-il.

Mazas ne calme rien du tout, la prison est l'argument décisif, plus virulent que jamais, il reprend ses combats. Un article de Jules Méry, jugé offensant pour l'armée, lui vaut de nouvelles poursuites. Excédé, il part pour Londres. Il y rencontre Charles Malato, Matha, Louise Michel, qui fut amie de son grand-père, Darien, Pouget, Malatesta, les peintres Luce, Pissaro, Whistler, etc.

Après quelques mois, il part pour la Hollande avec une troupe de musiciens ambulants. À Rotterdam, il se fait embaucher sur un chaland qui l'emmène à Mayence par le Rhin. Il vivra huit jours dans la Forêt Noire avec des bûcherons. Puis il se rend à Milan où il tombe au milieu d'un procès d'anarchistes. Il est arrêté en pleine nuit, à trois heures. On lui passe les menottes pour le conduire à pied au commissariat. Il refuse de marcher et dit aux policiers: "Vous me porterez et de force!".

Zo d'Axa est expulsé d'Italie. À Trieste, il s'embarque pour le Pirée avec des déserteurs italiens. Ils organisent ensemble une révolte à bord; "c'était de la graine de révoltés, on s'entendait ...", dit-il. Il arrive en Grèce et dort dans les ruines du Parthenon. L'Orient le fascine. Il désire aller à Constantinople. La ville l'enchante. Arrêté puis relâché, il quitte Constantinople pour Jaffa, où il arrive le premier Janvier 1893. Il est arrêté, gardé à vue pendant quelques semaines. Il s'évade pendant un orage, se réfugie au consulat du Royaume-Uni, en principe inviolable, qui sera violé contre toutes les règles diplomatiques pour le reprendre.

Enchaîné comme un droit commun, il est embarqué sur le navire "La Gironde" pour Marseille. Il est mis aux fers. En arrivant, Zo d'Axa passe quelques jours à la prison de Marseille, régime des droits communs. Transféré à Paris, il passe 18 mois à Sainte Pélagie comme politique, ayant, bien sûr, refusé de signer une demande en grâce.

En juillet 1894 il est libéré. Il publie "De Mazas à Jérusalem" qu'il a écrit en prison. Succès; critiques unanimes; on s'incline devant la valeur et la personnalité de l'oeuvre. Jules Renard, Laurent Tailhade, Octave Mirbeau, Lucien Descaves, Georges Clémenceau, Jean de Mitty, Adolphe Retté qui dit de lui "cet anarchiste hors de l'anarchie", rendent hommage à Zo d'Axa.

Indifférent aux éloges comme à l'opprobre, ses collaborateurs dispersés ou renégats, couvert de dettes, son journal mort, il se tait et voyage... jusqu'à l'affaire-Dreyfus. On est pour ou on est contre. Quand il s'est engagé dans l'affaire-Dreyfus, c'était pour la justice, contre l'armée, beaucoup plus que pour Dreyfus lui-même. Lucide, Zo d'Axa parle: "si ce monsieur ne fut pas traître, il fut capitaine; passons." Son nouveau journal, La Feuille, paraît "à toute occasion". Des occasions, il y en a! Il la rédige. Steinlen, Luce, Anquetin, Willette, Hermann Paul, Léandre, Couturier l'illustrent.

C'est l'actualité de 1898 et 1899. Personne n'est épargné, du haut en bas de l'échelle sociale. Lorsqu'il s'attendrit, c'est sur les enfants des colonies pénitentiaires. Il sera à l'origine de l'abolition des bagnes d'enfants.

Lors des élections le candidat de La Feuille, un âne, promené à travers Paris, fera scandale. Le jour du scrutin, Zo d'Axa parcourt la ville juché sur un char tiré par l'âne blanc. Boulevard du Palais, la police arrête la procession qui s'est grossie d'une foule nombreuse et ricanante. Il est conduit à la fourrière; bagarre; Zo d'Axa a le mot de la fin en lâchant l'âne: "Cela n'a plus d'importance, c'est maintenant un candidat officiel!".

1900. Zo d'Axa en a assez. Il a dit ce qu'il avait à dire; sans illusions, il part à nouveau. Amérique du Nord, du Sud, Chine, Japon, Inde, Afrique. Préfigurant le "grand reportage", il enverra des séries d'articles à quelques journaux, où percera toujours l'assoiffé de justice. Aux États-Unis, il ira voir la veuve de Bresci qui tua le roi italien Umberto I, et vivra avec les Indiens. En rentrant, bien des années plus tard, il vivra sur une péniche au hasard de son humeur, des fleuves et des canaux. Il s'arrête un jour à Marseille et s'y fixera jusqu'à sa mort volontaire et délibérée.

Il est blasé, il a fait le tour, il a trouvé partout les hommes "caverneusement" mauvais. Il s'est tu pendant 20 ans. Beaucoup de ceux qui le trouvaient dilettante ont changé et trahi la cause humanitaire. Lui n'a pas changé et ne changera pas. Il est réfractaire à tous les mirages. Celui de la révolution soviétique "qu'il ira voir de près" ne le convaincra pas davantage. Il a cru seulement, un temps, à l'individu. Sa droiture idéaliste, presque maladive ne lui permet pas de s'intégrer à la société telle qu'elle est.

En 1921 une erreur journalistique lui donne l'occasion de faire une mise au point dans un article resté célèbre, publié dans le Journal du Peuple; toujours magistral dans l'écriture, aristocratiquement asocial.

Parce que nos sociétés et nos régimes sont mauvais, il y aura toujours des hommes assez forts, assez hardis, assez courageux, assez altruistes et presque toujours étrangement méconnus, pour se dresser, pleins de conscience et de volonté, croyants ou non croyants, pour affronter la pourriture..

Par amour de la vérité, sur laquelle ils ne jettent aucun voile lorsqu'elle sort du puits.

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